Nietzsche et l'idée chrétienne de Dieu
Et si une des causes principales de notre déclin civilisationnel était la transformation d'un Dieu tout-puissant en Dieu d'amour seulement ? C'est à dire la suppression de la bipolarité inhérente à toutes les divinités en rangeant Dieu dans le camp du Bien absolu. De cette manière il n'est plus possible de punir et de châtier puisque Dieu pardonne tout et à tout le monde. Il est devenu impossible de rejeter qui que ce soit, puisque Dieu nous accueille tous dans son giron de miséricorde. Voici l'idée qu'en donne Nietzsche:
"Un peuple qui croit encore en lui-même a aussi encore son propre Dieu. En lui il adore les conditions qui lui font avoir le dessus, les vertus, - il projette, dans un être que l'on peut en remercier, le plaisir qu'il prend à lui-même, son sentiment de puissance. Qui est riche veut donner ; un peuple fier a besoin d'un Dieu pour lui offrir des sacrifices... La religion, dans les limites de ces présuppositions, est une forme de reconnaissance. On est reconnaissant de ce que l'on est soi-même : c'est pour cela que l'on a besoin d'un Dieu. - Il faut qu'un tel Dieu puisse être utile et nuisible, il faut qu'il puisse être ami et ennemi - on l'admire dans le bien comme dans le mal. La castration antinaturelle d'un Dieu pour le réduire à un Dieu du bien ne serait en l'occurrence nullement chose à souhaiter. On a besoin du Dieu méchant autant que du Dieu bon ; on ne doit assurément pas sa propre existence précisément à la tolérance, à la philanthropie... Qu'importerait un Dieu qui ne connaîtrait pas la colère, la vengeance, l'envie, la raillerie, la ruse, la violence ? auquel par exemple ne seraient même pas connues les ardeurs enchanteresses de la victoire et de l'extermination ? On ne comprendrait pas un tel Dieu : à quoi bon alors l'avoir ?
À dire vrai : quand un peuple périt ; quand il sent disparaître définitivement sa foi en l'avenir, son espoit de liberté, quand la soumission s'impose à lui comme la première nécessité, les vertus de l'homme soumis comme des conditions de conservation alors il faut que son Dieu change lui aussi. Il devient maintenant froussard, poltron, modeste, conseille « la paix de l'âme », l'abandon de la haine, la tolérance, l'« amour » même envers ami et ennemi. Il moralise constamment, il va se fourrer dans le repaire de toutes les vertus privées, devient un Dieu pour tout un chacun, devient un simple particulier, devient cosmopolite... Jadis il représentait un peuple, la force d'un peuple, tout ce qu'il y a d'agressif et d'assoiffé de puissance dans l'âme d'un peuple : maintenant il n'est plus que le bon Dieu... En réalité il n'y a pas d'autre alternative pour les Dieux : ou bien ils sont la volonté de puissance - et tout ce temps ils seront Dieux d'un peuple -, ou bien ils sont au contraire l'impuissance face à la puissance - et alors ils deviennent nécessairement bons..."
Friedrich Nietzsche - L'Antéchrist (partie 16).
Après
Publié par Vertumne à l'adresse 11:38 28 commentaires
Libellés : christianisme, idées, paganisme
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